Fertilisants phosphatés: un défi économique et stratégique
Phosphore- un enjeu économique
L’exploitation des gisements de roches phosphatées est devenue un enjeu économique et stratégique de premier niveau. En effet, ces ressources minérales représentent des actifs mondiaux importants et génèrent une dynamique économique complexe entre états producteurs et utilisateurs, certains de ces états étant à la fois producteurs, par extraction minière, et utilisateurs, notamment en agriculture, comme les États-Unis.
La chaine d’approvisionnement en phosphore est fragile, car cet élément est non substituable et ses réserves naturelles sont limitées dans le temps. Selon plusieurs études, telles que celle de Dana Cordell de l’Université de Linköping en Suède, les réserves mondiales de phosphates seront épuisées d’ici 50 à 100 ans. L’United States Geological Survey et l’International Fertilizer Industry Association prévoient, pour leur part, l’épuisement d’ici 100 à 125 ans des réserves de phosphates. Cependant, il est estimé qu’à partir des années 2040-50 la production de phosphore entrera dans une période de carence. Autrement dit, sa demande sera plus élevée que sa disponibilité.
Le terme phosphore est fréquemment utilisé pour désigner différentes formulations (phosphates, phosphore, polyphosphates). Le phosphore naturellement présent dans les sols est peu accessible aux plantes, il est fréquemment fixé sur des métaux comme le fer ou l’aluminium. Le phosphore se trouve le plus souvent dans les roches, sous des formes totalement inutilisables. On a généralement recours à l’acide sulfurique pour générer le phosphate connu sous la formule P2O5.
Les principaux gisements de phosphate sont localisés au Maroc et en Chine et cet élément est aujourd’hui indispensable à la fabrication d’engrais pour l’agriculture mondiale dont les besoins en fertilisants grandissent de façon importante pour permettre une production agricole apte à subvenir aux besoins d’une population mondiale en croissance exponentielle.
Pays |
Production annuelle en milliers de tonnes |
Réserves |
Chine | 140 000 | 3 200 000 |
Maroc + Sahara occidental | 33 000 | 50 000 000 |
États-Unis | 27 000 | 1 000 000 |
Russie | 13 000 | 600 000 |
Jordanie | 8 800 | 1 000 000 |
Arabie Saoudite | 5 200 | 1 400 000 |
… | … | … |
Total mondial | 270 000 | 70 000 000 |
Source : 2019 US geological survey on phosphate rock
Pratiquement 90 % des roches phosphatées extraites sont utilisées pour produire des engrais.
Au Canada l’industrie des engrais joue un rôle important dans l’économie nationale avec 23 milliards de dollars en activité économique annuelle et 76 000 emplois (sources Fertilizer Canada).
Phosphore et agriculture
Afin qu’une plante se développe, elle a besoin d’eau et de 13 éléments nutritifs et notamment les macronutriments tels que l’azote, le phosphore et le potassium. L’un de ces éléments nutritifs, le phosphore, risque fort de disparaitre dans les prochaines décennies. Le phosphore est essentiel au développement des plantes. Il contribue entre autres au transport de l’énergie dans les cellules. Le phosphore stimule le développement des racines, la floraison et la fructification. Il permet aussi aux plantes de mieux résister aux effets du gel. Sans lui, la production agricole ne serait pas possible.
L’agriculture, pour sa part, requiert 90 % du phosphate produit. Il s’agit essentiellement d’engrais phosphatés inorganiques et d’aliments phosphatés destinés à l’élevage. Les fumiers, les lisiers sont certes des fertilisants naturels riches en phosphore mais les fermes d’élevage ne sont pas toujours à proximité directe des terres de cultures. L’agriculture mondiale utilise quelques 40 millions de tonnes de cet engrais chimique par année.
Au Canada la consommation annuelle d’engrais phosphatés est passée de 887 000 tonnes en 2013 à 1 133 000 tonnes en 2018 (source : international fertilizer association)
Quant aux engrais en général, la quantité utilisée dans le monde croît, elle aussi.
Source : Statista
Phosphore et lisier
Le phosphore est l’un des éléments fertilisants présents dans le lisier. Il provient en grande partie des fèces et est donc étroitement lié à la fraction solide, alors que dans la fraction liquide (en grande partie de l’urine) l’élément est disponible sous forme de phosphates dissous. Dans la fraction solide le phosphore se présente essentiellement sous une forme minérale. Le phosphore organique dans les aliments non parfaitement digérés, présente peu d’intérêt fertilisant car non disponible pour les plantes .
En revanche 80 % environ du phosphore total est de type minéral et donc constitue une valeur fertilisante pour les cultures. Son coefficient d’équivalence engrais est estimé à 0,85 (Ziegler et Héduit, 1991 ).
Le potentiel phosphore du lisier de porc.
La disponibilité du phosphore du lisier de porc est comparable à celle du fumier de bovin. Cette disponibilité est supérieure à celle du fumier de volaille car, pour ce dernier, le phosphore minéral ne représente que 60 % du phosphore total. Le lisier de porc, une fois débarrassé de sa fraction liquide, qui représente un pourcentage de volume important (au-dessus de 90 %) et qui donc constitue l’essentiel du coût de transport du lisier pour l’épandage, représente donc une source de phosphore intéressante pour l’agriculture, notamment pour l’agriculture biologique
Une étude de la CRAAQ (Centre de Référence en Agriculture et Agroalimentaire du Québec), met en évidence les quantités suivantes de phosphore (P2O5) présente dans les divers types de lisiers de porc.
Type de lisier |
Quantité de P2O5 en kg /t |
Maternité | 2 |
Porcelet | 1,6 |
Porc en croissance | 2,3 |
Si l’on considère qu’après séparation des fractions solide et liquide, il en résulte un bio solide qui représente 10 % du volume initial de lisier (pour le lisier de maternité) et que 85 % du phosphore initialement contenu dans le lisier se concentre dans la fraction solide, on obtient théoriquement.
Type de lisier |
Quantité de P2O5 en kg / 100kg de bio solide non déshydraté |
Maternité | 1,7 kg, dont 1,36 kg de phosphore minéral disponible pour les cultures |
Un potentiel à considérer compte tenu de la situation évolutive de l’extraction minière des roches phosphatées et de l’essor de l’agriculture biologique
De gauche à droite : fraction liquide et fraction solide résultant du procédé de Solugen.
Sources :
https://www.ifip.asso.fr/sites/default/files/pdf-documentations/tp1998n3levasseur.pdf
https://www.craaq.qc.ca/documents/files/Effluents_elevage/caracterisation_lisiers_fppq.pdf
https://www.planetoscope.com/matieres-premieres/527-production-mondiale-de-phosphates.html
https://www.statista.com/statistics/681747/phosphate-rock-reserves-by-country/
https://bio-e-co.fr/wp-content/uploads/2018/11/phosphore_et_lisier.pdf